Je ne saurais m'empêcher de croire que dans ces sortes d'animaux [huître ou moule] il y a quelque faible perception qui les distingue des êtres parfaitement insensibles. Et que cela puisse être ainsi, nous en avons des exemples visibles dans les hommes mêmes. Prenez un de ces vieillards décrépits à qui l'âge a fait perdre le souvenir de tout ce qu'il a jamais su : il ne lui reste plus dans l'esprit aucune des idées qu'il avait auparavant, l'âge lui a fermé presque tous les passages à de nouvelles sensations, en le privant entièrement de la vue, de l’ouïe et de l'odorat, en lui ôtant presque tout sentiment du goût ; ou si quelques-uns de ces passages sont à demi ouverts, les impressions qui s'y font, ne sont presque point aperçues, ou s'évanouissent en peu de temps. Cela posé, je laisse à penser, (malgré tout ce qu'on publie des principes innés) en quoi un tel homme est au-dessus de la condition d'une huître, par ses connaissances et par l’exercice de ses facultés intellectuelles. Que si un homme avait passé soixante ans dans cet état (ce qu'il pourrait aussi bien faire que d’y passer trois jours), je ne saurais dire quelle différence il y aurait eu, à l'égard d'aucune perfection intellectuelle, entre lui Se les animaux du dernier ordre.
Locke, Essais sur l’entendement humain, II, 9, 14.
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