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Critique du relativisme

La principale maladie philosophique de notre temps est le relativisme intellectuel et le relativisme moral qui, au moins pour une part, en découle. Par relativisme, ou scepticisme si l'on préfère ce terme, j'entends la doctrine selon laquelle tout choix entre des théories rivales est arbitraire : soit parce que la vérité objective n'existe pas ; soit parce que, même si l'on admet qu'elle existe, il n'y a en tout cas pas de théorie qui soit vraie, ou (sans être vraie) plus proche de la vérité qu'une autre ; soit parce que, dans les cas où il y a deux théories ou plus, il n'existe aucun moyen de décider si l'une est supérieure à l'autre. [...]

Certains des arguments invoqués à l'appui du relativisme découlent de la question même : « Qu'est-ce que la vérité ? », à laquelle le sceptique convaincu est sûr qu'il n'y a pas de réponse. Mais, à cette question, on peut répliquer d'une façon simple et raisonnable - qui ne satisferait probablement pas notre sceptique - qu'une affirmation ou un énoncé sont vrais si, et seulement si, ils correspondent aux faits.

Que veut dire « correspondre aux faits » ? Bien qu'un sceptique ou un relativiste puisse trouver aussi impossible de répondre à cette question qu'à la précédente, c'est en réalité aussi facile et même presque banal. Par exemple, tout juge sait bien ce qu'un témoin entend par vérité : c'est justement ce qui correspond aux faits.

Pour suivre Tarski, le problème posé met en cause les énoncés, les faits et un certain rapport de correspondance entre les premiers et les seconds : car c'est bien de cela qu'on parle ; et, par suite, dans la solution, on doit parler des mêmes choses. Par exemple, l'énoncé « Smith est entré dans le magasin peu après 10 h 15 », correspond aux faits si, et seulement si, Smith est entré dans le magasin peu après 10 h 15.

À première vue, la phrase en italique nous paraît constituer un lieu commun, mais peu importe. En y regardant de plus près, on voit qu'il s'agit : 1) d'un énoncé, 2) de certains faits, et 3) que la phrase permet d'établir les conditions évidentes qui doivent être remplies pour que l'énoncé corresponde aux faits.

Certains estimeront qu'une phrase aussi banale n'a aucun intérêt. Rappelons-leur que, puisque chacun sait sans y réfléchir ce que signifie la vérité, ou la correspondance avec les faits, ce doit être une chose banale.

Pour faire ressortir l'exactitude de la phrase en italique, on peut dire : « L'affirmation du témoin selon laquelle Smith est entré dans le magasin peu après 10 h 15 est vraie si, et seulement si, Smith est entré dans le magasin peu après 10 h 15 » ; phrase également banale, mais qui énonce toutes les conditions nécessaires pour l'application du prédicat : « est vraie », à la déclaration d'un témoin.

Selon certains, la formulation suivante serait meilleure : « L'affirmation du témoin : "J'ai vu Smith entrer dans le magasin peu après 10 h 15", est vraie si, et seulement si, le témoin a vu Smith entrer dans le magasin peu après 10 h 15. » En la comparant à la précédente, on voit que la seconde version donne les conditions requises pour que soit vrai un énoncé concernant Smith et ce qu'il a fait ; et la troisième pour que soit vrai un énoncé concernant le témoin et ce qu'il a fait ou vu. En matière de preuve, il est de règle qu'un témoin doit se borner à déclarer ce qu'il a effectivement vu, ce qui peut faciliter au juge la distinction entre vrais et faux témoignages. Aussi la troisième version peut-elle présenter sur la seconde des avantages du point de vue de la recherche ou de la découverte de la vérité ; mais c'est là une question épistémologique ou méthodologique. Or ce qui nous intéresse ici, c'est la question logique ou ontologique : celle de ce que nous voulons dire ou cherchons à exprimer quand nous parlons de vérité ou de correspondance avec les faits. De ce point de vue, la troisième formulation ne présente pas d'avantage sur la seconde. Chacune répond de la même façon à la question : « Qu'est-ce que la vérité ? », et le fait indirectement, en énonçant les conditions requises pour qu'un énoncé déterminé soit vrai. [...]

Il faut distinguer nettement entre savoir ce que signifie la vérité et avoir un moyen, un critère, pour décider si un énoncé est vrai ou faux. Cette distinction d'ordre très général est d'une importance considérable pour juger du relativisme.

Sans doute savons-nous ce que nous entendons par une denrée saine et une denrée légèrement avariée ; mais, dans certains cas, il peut être difficile de distinguer l'une de l'autre : nous disons alors que nous n'avons pas de critères des qualités d'une denrée saine. De même, les médecins savaient ce qu'ils voulaient dire par tuberculose, longtemps avant qu'ils ne disposent de tests, c'est-à-dire de critères, permettant de reconnaître cette maladie.

On comprend le désir qu'ont les esprits précis de disposer de critères ; désir raisonnable quand il est possible à satisfaire. Mais ce serait une erreur de croire qu'à défaut de critères concernant l'altération d'une denrée, on ne peut se demander si celle-ci est gâtée ou non ; ou qu'à défaut de critères concernant la tuberculose la phrase : « Untel est tuberculeux », n'a pas de sens ; et la phrase : « Untel ment effrontément », non plus, tant qu'il n'existe pas de détecteur de mensonge auquel on puisse se fier.

En fait, l'établissement d'une série de tests concernant la tuberculose ou le mensonge est postérieur à la détermination, sans doute grossière, de ce que nous entendons par ces mots. Bien entendu, la découverte d'examens de laboratoire permettant de déceler la tuberculose peut nous apprendre bien des choses nouvelles sur cette maladie, au point que cela peut transformer le sens même du mot qui la désigne. On pourrait peut-être aller jusqu'à dire que le terme de tuberculose peut alors être défini par ces critères. N'empêche qu'il signifiait déjà quelque chose auparavant. Notons, en passant, qu'il existe peu de maladies pour lesquelles nous disposions de critères satisfaisants ou de définitions précises.

La plupart d'entre nous ne connaissent pas les critères qui permettent de savoir si un billet de banque est authentique ou faux. Mais, si nous trouvions deux billets portant le même numéro, nous aurions de bonnes raisons de déclarer que l'un des deux est faux : assertion qui ne serait pas privée de signification par l'absence d'un critère d'authenticité.

Popper, La Société ouverte et ses ennemis, t. 2, Hegel et Marx, Seuil, 1979, p. 188-189.

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