La fausseté d'un jugement ne suffit pas à constituer à nos yeux une objection contre un jugement ; c'est en cela peut-être que notre nouveau langage rend le son le plus étrange. La question est de savoir jusqu'à quel point il favorise la vie, conserve la vie, conserve l'espèce, et peut-être permet l'élevage de l'espèce ; et nous sommes fondamentalement portés à affirmer que les jugements les plus faux (dont font partie les jugements synthétiques a priori) sont pour nous les plus indispensables, que sans tenir pour valides les fictions logiques, sans un étalon de mesure de la réalité référé au monde purement inventé de l'inconditionné, de l'identique à soi, sans une falsification constante du monde par le biais du nombre, l'homme ne pourrait vivre - que renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie, nier la vie. Reconnaître la non-vérité pour condition de vie : c'est là à coup sûr une manière dangereuse de résister aux sentiments de valeur habituels ; et cela suffit pour qu'une philosophie qui s'y risque se place d'emblée par-delà bien et mal.
Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 4, tr. P. Wotling, GF, 2000, p. 50.
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