Il n’est pas contraire à la raison que je préfère la destruction du monde entier à l’égratignure de mon doigt. Il n’est pas contraire à la raison que je choisisse ma ruine totale pour empêcher le moindre déplaisir d’un Indien ou d’une personne qui m’est entièrement inconnue. Il est même aussi peu contraire à la raison que je préfère un bien reconnu moindre à un bien supérieur et que j’ai une ardente affection pour le premier plutôt que pour le second. Un bien banal peut, en certaines circonstances, produire un désir supérieur à ce qui provient de la jouissance la plus grande et la plus estimable. Il n’y a rien de plus extraordinaire en cela que ce qu’on voit en mécanique, un poids d’une livre soulever un poids de cent livres par l’avantage de sa situation.
Hume, Traité de la nature humaine, II, III, 3 trad. Leroy
La raison sert à découvrir la vérité ou l’erreur. La vérité et l’erreur consistent dans l’accord et dans le désaccord soit avec les relations réelles des idées, soit avec l’existence réelle et des faits réels. Donc tout ce qui n’est pas susceptible de cet accord et de ce désaccord, ne peut être ni vrai ni faux et ne peut jamais être un objet de notre raison. Or, évidemment, nos passions, nos volitions et nos actions ne sont pas susceptibles d’un tel accord et d’un tel désaccord; car elles sont des faits originaux et des réalités originales, complètes en elles-mêmes, qui n’impliquent aucune référence à d’autres passions, volitions et actions. Il est donc impossible de les déclarer vraies ou fausses, contraires ou conformes à la raison.
[…]
Des actions peuvent être louables et blâmables; mais elles ne peuvent jamais être raisonnables ou déraisonnables: louable et blâmable ne sont donc pas identiques à raisonnable et déraisonnable. Le mérite et le démérite des actions contredisent fréquemment et parfois gouvernent nos penchants naturels. Mais la raison n’a pas une telle influence. Les distinctions morales ne sont donc pas engendrées par la raison. La raison est complètement passive et ne peut jamais être la source d’un principe aussi actif que la conscience ou un sens moral.
Ibid., III, I, 1 p. 573.
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