Libellés

affirmation Alain âme amitié amour amour-propre amour-propre. analogie Anaxagore animal antiquité apparence Arendt argent Aristote art artiste Augustin autonomie autorité autrui Bailly Bataille beauté Bergson Bernard bien bonheur Bourdin Buffon Burke cause certitude cerveau Chateaubriand chomsky christianisme Cicéron citation clarté commencement Comte-Sponville condition humaine Condorcet connaissance conscience conscience morale contingence contradiction Copernic corps coutume critère croyance culture culture générale curiosité définition démocratie démonstration Descartes désir déterminisme devoir devoir de mémoire dialectique dialogue Diderot Dieu dignité disciple discours discussion distinction divertissement doute droit droits de l'homme éducation Einstein émancipation enfance ennui environnement Épictète erreur Ésope espace espérance esprit essence État éthique ethnologie étonnement être Euclide évidence exemple existence expérience expliquer fanatisme fausse science Fichte finalisme Flaubert force Foucault Freud Galilée géométrie grand homme grandeur Grégoire de Nysse guerre habitat Hegel héritage Hésiode Hiroshima histoire Hobbes humanisme humanité Hume identité idéologie illusion image imagination individu instinct intelligence interprétation intuition invention Jakobson Jamblique James Jankélévich jeu jugement justice Kant Kelsen Kierkegaard Koyré La Fontaine Lacan Lafargue langage légitimité Leibniz Leiris Levinas libération liberté liberté d'opinion linguistique Linton Locke logique loi Lumières machine maître Malebranche matérialisme mathématiques matière matière et esprit méchanceté mémoire mensonge Merleau-Ponty-Ponty métaphysique méthode milieu Mill misanthropie misère misologie modernité moeurs moi Molière monarchie monde Montaigne morale mort Mreleau-Ponty mythe Nagel naissance nature nature humaine nécessité négation Nietzsche Noël nom objectivité opinion ordre orgueil orientation oubli paix parole particulier Pascal passion peintre perception perfection persuader et convaincre peuple peur philosophe philosophie Pic de la Mirandole pitié plaisir Platon poésie Poincaré politesse politique Ponge Popper positivisme pouvoir pragmatisme preception préjugé présent preuve procédure progrès propre de l'homme propriété Protagoras Proust publicité raison réalité réflexion réfutation relation relativisme religion représentation rêve révolution rhétorique Ricoeur Rilke Rousseau Russell Saint Paul Sapir Sartre savoir scepticisme Schopenhauer science Sénèque sensation signification sociabilité société Socrate souveraineté Spinoza stoïcisme sujet superstition superstititon Supervielle sympathie technique temps Thalès Théophile de Viau théorie et pratique Thomas d'Aquin Tocqueville tolérance travail Turing Tylor Ulysse universel Valéry valeur vanité véracité verité vérité Vico vie violence volonté Voltaire Von Uexküll Weil

Que sais-je?

Finalement, il n’y aucune constante existence, ni de notre être, ni de celui des objets. Et nous, et notre jugement, et toutes choses mortelles vont coulant et roulant sans cesse. Ainsi il ne se peut établir rien de certain de l’un à l’autre, et le jugeant et le jugé étant en continuelle mutation et branle. Nous n’avons aucune communication à l’être, parce que toute humaine nature est toujours au milieu entre le naître et le mourir, ne baillant [saisissant] de soi qu’une obscure apparence et ombre, et une incertaine et débile opinion. Et si, de fortune, vous fichez votre pensée à vouloir prendre son être, ce sera ni plus ni moins que qui voudrait empoigner l’eau : car tant plus il serrera et pressera ce qui de sa nature coule partout, tant plus il perdra ce qu’il voulait tenir et empoigner. Ainsi, étant toutes choses sujettes à passer d’un changement en autre, la raison, y cherchant une réelle subsistance, se trouve déçue, ne pouvant rien appréhender de subsistant et permanent, par ce que tout ou vient en être et n’est pas encore du tout, ou commence à mourir avant qu’il soit né. Platon disait que les corps n’avaient jamais existence, oui bien naissance, estimant que Homère eût fait l’océan père des dieux, et Thétis la mère, pour nous montrer que toutes choses sont en fluxion, muance et variation perpétuelle […] ; Pythagore, que toute matière est coulante et labile ; les Stoïciens, qu’il n’y a point de temps présent, et que ce que nous appelons présent n’est que la jointure et assemblage du futur et du passé ; Héraclite, que jamais homme n’était deux fois entré en même rivière ; Epicharme, […]que celui qui cette nuit a été convié à venir ce matin dîner vient aujourd’hui non convié, attendu que ce ne sont plus eux : ils sont devenus autres, et qu’il ne pouvait se trouver une substance mortelle deux fois en même état, car, par soudaineté et légèreté de changement, tantôt elle dissipe, tantôt elle rassemble ; elle vient et puis s’en va. De façon que ce qui commence à naître ne parvient jamais jusqu’à perfection d’être, pour autant que ce naître n’achève jamais, et jamais n’arrête, comme étant à bout.

Montaigne, Essais, II, 12.

 

Les autres forment l'homme; je le récite, et en représente un particulier bien mal formé, et lequel, si j'avais à façonner de nouveau, je ferais vraiment bien autre qu'il n'est. Désormais, c’est fait. Or les traits de ma peinture ne fourvoient point, quoiqu’ils se changent et diversifient. Le monde n'est qu'une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse: la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte, et du branle public, et du leur. La constance même n'est autre chose qu'un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet. Il va trouble et chancelant, d'une ivresse naturelle. Je le prends en ce point, comme il est, en l'instant que je m'amuse à lui. Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou comme dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute.

[…]

Je propose une vie basse, et sans lustre : c’est tout un. On attache aussi bien toute la philosophie morale, à une vie populaire et privée, qu'à une vie de plus riche étoffe; chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition.

Les auteurs se communiquent au peuple par quelque marque spéciale et étrangère : moi le premier, par mon être universel, comme Michel de Montaigne, non comme grammairien, ou poète, ou jurisconsulte. Si le monde se plaint de quoi je parle trop de moi, je me plains de quoi il ne pense seulement pas à soi.

Ibid., III, 2, éd. Claude Pinganaud, Arléa, 2002, p. 582.

Aucun commentaire: