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Ne pas prendre prétexte de Kant pour croire qu'on saurait spontanément philosopher

On cite Kant avec beaucoup d'admiration en disant qu'il apprend non pas la philosophie mais plutôt à philosopher; comme si on pouvait apprendre la menuiserie en se dispensant d'apprendre à faire une table, une chaise, une porte, une armoire, etc. 

À cet égard, il devient particulièrement urgent de faire à nouveau de la philosophie une chose sérieuse. Quand il s'agit des sciences, des arts, des savoir-faire ou des métiers, il va de soi qu'on ne peut les maîtriser qu'à la condition de faire à la fois l'effort de les apprendre et de s'y exercer. En revanche, dès qu'il s'agit de la philosophie, on nage aujourd'hui en plein préjugé: il ne suffit pas bien entendu d'avoir des yeux et des doigts, et de se procurer du cuir et des outils pour être à même de fabriquer des chaussures, et pourtant on croit que chacun pourrait spontanément philosopher et donner son avis en la matière sous prétexte qu'il en posséderait la mesure dans sa raison naturelle, comme s'il ne possédait pas également la mesure d'une chaussure dans son pied. Tout se passe de nos jours comme s'il suffisait de se dispenser de connaître et d'étudier pour commencer à faire de la philosophie.

Georg Wilhem Friedrich Hegel (1770–1831), Phénoménologie de l’esprit, Préface (1807)

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