Les compagnons d’Ulysse, en effet, n’exécutaient-ils pas ses ordres, quand, l’ayant, attaché au mât du navire, alors que son âme était captivée par le chant des Sirènes, ils refusèrent de rompre ses liens, malgré l’ordre qu’il leur en donnait avec toute sorte de menaces ? Plus tard, il les remercia d’avoir obéi à ses premières recommandations, et tout le monde a reconnu là sa sagesse. A l’exemple d’Ulysse, les rois ont coutume d’instituer des juges pour qu’ils rendent la justice, et ne fassent aucune acception de personnes, pas même de la personne du Roi, dans le cas où le Roi viendrait à enfreindre le droit établi. Car les rois ne sont pas des dieux, mais des hommes, souvent pris au chant des Sirènes. Si donc toutes choses dépendaient de l’inconstante volonté d’un seul homme, il n’y aurait plus rien de fixe. Et par conséquent, pour constituer d’une manière stable le gouvernement monarchique, il faut que toutes choses s’y fassent en effet par le seul décret du Roi, c’est-à-dire que tout le droit soit dans la volonté expliquée du Roi, ce qui ne signifie pas que toute volonté du Roi soit le droit. (Voyez sur ce point les articles, 5 et 6 du précédent chapitre.)
Spinoza, Traité politique, VII, §01 (trad. Saisset)
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