Juste après l’instinct de nutrition, par lequel la nature conserve chaque individu, le plus important est l’instinct sexuel grâce auquel la nature pourvoit à la conservation de chaque espèce. La raison après son éveil ne tarda pas non plus à manifester son influence sur celui-ci. L’homme trouva bientôt que l’excitation sexuelle, qui chez les animaux repose seulement sur une impulsion passagère et la plupart du temps périodique, était susceptible pour lui de se prolonger et même de s’accroître sous l’effet de l’imagination, qui fait sentir son action avec d’autant plus de mesure sans doute, mais aussi de façon d’autant plus durable et plus uniforme, que l’objet est davantage soustrait aux sens ; ce qui évite la satiété qu’entraîne avec soi la satisfaction d’un désir purement animal.
La feuille de figuier[1]fut donc le résultat d’une manifestation de la raison bien plus importante que toutes celles qui étaient survenues antérieurement au tout premier stade de son développement. Car le fait de rendre une inclination plus forte et plus durable, en retirant son objet aux sens, dénote une certaine suprématie consciente de la raison sur les inclinations et non plus seulement, comme au degré inférieur, un pouvoir de les servir, sur une plus ou moins grande échelle. Le refus fut l’habile l’artifice qui conduisit l’homme des excitations purement sensuelles vers les excitations idéales, et, peu à peu, du désir purement animal à l’amour. Et, avec l’amour, le sentiment de ce qui est agréable devint le goût du beau, découvert d’abord seulement dans l’homme, puis dans la nature.
Kant, Conjectures sur les débuts de l’histoire humaine, in Opuscules sur l’histoire,trad. S. Piobetta.
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