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On n'apprend pas à parler comme on apprend à marcher.

La parole est un trait si familier de la vie quotidienne que nous prenons rarement le temps de la définir. Elle semble aussi naturelle à l'homme que la marche, et à peine moins normale que la respiration. Cependant il ne faut qu'un instant de réflexion pour nous convaincre que cette façon de juger n'est qu'une illusion. Le processus d'acquisition de la parole est, en réalité, absolument différent de celui de la marche. Dans le cas de la marche, la culture, en d'autres termes, l'ensemble traditionnel des habitudes sociales, n'entre pas réellement en action. L'enfant est équipé individuellement, par le jeu complexe des facteurs que nous nommons hérédité biologique, pour réaliser toutes les adaptations nécessaires, tant musculaires que nerveuses, qui aboutissent à la marche. A la vérité, on peut dire que la conformation des muscles et des parties appropriées du système nerveux est adaptée dès l'origine aux mouvements nécessaires à la marche et aux activités similaires. On peut dire avec raison que l'être humain est destiné à marcher, non pas parce que ses aînés l'aideront à apprendre cet art, mais parce que son organisme est préparé dès la naissance (ou même dès l'instant de sa conception), à entreprendre toutes ces dépenses d'énergie nerveuse et toutes ces adaptations musculaires qui aboutissent à la marche.

 En termes concis, la marche est une fonction biologique inhérente à l'homme. Il n'en est pas de même du langage. Il est bien entendu vrai que dans une certaine mesure l'individu est également destiné à parler, mais cela est entièrement dû au fait qu'il est né non seulement dans le cadre de la nature, mais au sein d'une société qui est certaine (et certaine avec raison) de lui faire adopter ses traditions à elle. Éliminez la société, et il y a toute raison de croire qu'il apprendra quand même à marcher, en supposant qu'il survive. Mais il est tout aussi certain qu'il n'apprendra jamais à parler, c'est-à-dire à communiquer ses idées selon le système traditionnel d'une société particulière. Ou encore, séparez l'individu nouveau-né du milieu social où il se trouve et transplantez-le dans un autre milieu totalement étranger. Il se formera à l'art de marcher dans ce milieu nouveau a peu près comme il l'aurait fait dans l'ancien. Mais sa parole sera complètement différente de celle de son entourage primitif. La marche est donc une activité humaine générale qui ne varie que dans certaines limites, lorsque nous passons d'un individu à un autre individu. Ses variations sont involontaires et sans but. La parole est une activité humaine qui varie sans limites fixées à mesure qu'on va de groupe social en. groupe social, car c'est un héritage purement historique du groupe, le produit d'un usage social de longue date. Elle varie comme tout effort créateur varie, pas aussi consciemment, peut-être, mais tout aussi réellement que le font les religions, les croyances, les coutumes et l’art des différents peuples. La marche est une fonction organique, instinctive (mais non pas, bien entendu, un instinct en elle-même). La parole est une fonction non instinctive, acquise, une fonction de culture.)

 Edward Sapir (1921), Le langage. Introduction à l’étude de la parole , 1921

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