Si je vois en ce moment le soleil dans le ciel et si je sais qu'il est maintenant midi, je serai capable de trouver le sud, le nord et l'est. Mais j'ai, à cet effet, un besoin absolu d'éprouver dans mon propre sujet le sentiment d'une différence, celle de ma droite et de ma gauche. Je dis sentiment parce que, du dehors, ces deux côtés ne présentent dans l'intuition aucune différence perceptible. Si, traçant un cercle en dehors de toute référence à une dissemblance entre les objets qu'il pourrait impliquer, je n'avais cette faculté de distinguer le mouvement de droite à gauche du mouvement opposé, et d'établir ainsi a priori une différence dans la position des objets, je ne saurais s'il me faut situer l'ouest à droite ou à gauche du point sud de l'horizon et, pour achever le cercle, rejoindre alors le sud par le nord et par l'est. Ainsi, je ne m'oriente géographiquement, malgré toutes les données objectives figurant dans le ciel, que par un principe subjectif de différenciation ; et si, un jour, par un miracle, toutes les constellations, gardant par ailleurs la même configuration et bien la même position relative, avaient simplement leur orientation inversée d'est en ouest, nul regard humain, à la vérité, ne remarquerait, dans la première nuit étoilée qui suivrait, le moindre changement ; et même l'astronome qui ne considèrerait que ce qu'il voit et non, tout à la fois, ce qu'il ressent, serait fatalement désorienté. Dans ces conditions, cependant, viendra à son aide, de façon toute naturelle, cette faculté innée, certes, mais accoutumée par une fréquente pratique, de différencier au moyen du sentiment la droite et la gauche, et il lui suffira de porter les yeux sur l'Étoile polaire pour s'apercevoir du changement survenu et pour s'orienter en dépit de celui-ci.
Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée?, trad. Jalabert, Pléiade II p. 531.
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