Cette impossibilité [d’établir un rapport entre le côté du carré et sa diagonale] est établie par la célèbre démonstration du caractère irrationnel de la diagonale, c'est-à-dire de la racine carrée de 2, que l’on suppose bien connue de Platon et d’Aristote. Cela consiste à montrer que l’hypothèse
(1) √2 = n/m, c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle √2 est égale au rapport de deux nombres entiers quelconques, n et m, conduit à une absurdité.
Or nous pouvons supposer que
(2) des deux nombres, n et m, pas plus d’un n’est pair. Car si les deux étaient pairs, nous pourrions supprimer le facteur 2 afin d’obtenir deux autres nombres naturels, n’ et m’, tels que n/m = n’/m’ et qu’au plus un seul des deux nombres n’ et m’ soit pair. Or en élevant (1) au carré, nous obtenons :
(3) 2 = n2 / m2 ; puis :
(4) 2m2 = n2 ; et donc :
(5) n est pair. Il doit donc y avoir un nombre naturel a tel que :
(6) n = 2a ; et de (3) et (6) nous tirons :
(7) 2m2 = n2 = 4a2 ; et donc :
(8) m2 = 2a2. Mais cela implique :
(9) m est pair.
Il est manifeste que (5) et (9) contredisent (2). Donc l’hypothèse selon laquelle il existe deux nombres naturels n et m dont le rapport est égale à √2 conduit à une conclusion absurde. Par conséquent, √2 n’est pas une ratio, c’est un nombre « irrationnel ».
[…] La tradition rapportant que cette démonstration avait été faite au sein même de l’école [pythagoricienne] mais tenue secrète me paraît fort plausible. On peut en donner pour preuve que l’ancien terme employé pour exprimer l’ « irrationnel » - arrhètos, « indicible » ou « inavouable » - peut fort bien avoir renvoyé à un secret qu’il fallait garder. La tradition rapporte d’ailleurs que le disciple qui avait dévoilé ce secret fut mis à mort pour cet acte de trahison.
Karl Popper ( 1902-1994), La nature des problèmes philosophiques et leurs racines scientifiques (1952), in Conjectures et réfutations, Payot, pp. 134-135.
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