Sans doute avez-vous, cher lecteur, quand vous étiez jeune garçon, fait la connaissance du superbe édifice de la Géométrie d’Euclide, et vous vous rappelez peut-être, avec plus de respect que de plaisir, cette imposante construction sur le haut escalier de laquelle des maîtres consciencieux vous forçaient de monter pendant des heures innombrables. En vertu de ce passé vous traiteriez avec dédain toute personne qui regarderait même la moindre proposition de cette science comme inexacte. Mais ce sentiment de fière certitude vous abandonnerait peut-être, si l’on vous posait cette question : « Qu’entendez-vous par l’affirmation que ces propositions sont vraies ? » À cette question, nous voulons nous arrêter un peu.
La géométrie part de certaines notions fondamentales telles que le point, la droite, le plan, auxquelles nous sommes capables d’associer des représentations plus ou moins claires, et de certaines propositions simples (axiomes), que nous sommes disposés à regarder, en vertu de ces représentations, comme « vraies ». Toutes les autres propositions sont ensuite ramenées, au moyen d’une méthode logique dont nous nous sentons forcés de reconnaître la légitimité, aux axiomes, c’est-à-dire démontrées. Une proposition est, par conséquent, exacte ou « vraie », si elle est déduite des axiomes de la manière généralement admise. La question de savoir si telle ou telle proposition géométrique est « vraie » se ramène, par conséquent, à la question de savoir si les axiomes sont « vrais ». Mais on sait depuis longtemps que non seulement on ne peut répondre à cette dernière question au moyen des méthodes de la géométrie, mais qu’elle n’a en elle-même aucun sens. On ne peut pas demander s’il est vrai que par deux points il ne passe qu’une seule droite. On peut seulement dire que la géométrie euclidienne traite de figures qu’elle appelle « droites » et auxquelles elle attribue la propriété d’être déterminées d’une manière univoque par deux de ses points. La notion de « vrai » ne s’applique pas aux énoncés de la géométrie pure, car par le terme « vrai » nous désignons, en dernier ressort, toujours la concordance avec un objet « réel ». Or, la Géométrie ne s’occupe pas du rapport entre ses notions et les objets de l’expérience, mais seulement du rapport logique de ces notions entre elles.
Einstein, La théorie de la relativité, première partie.
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