Ce n’est pas tant le raisonnement qui nous manque que la prise du raisonnement. L’esprit de l’homme est en état de beaucoup faire, mais les sens lui fournissent peu de matériaux, et notre âme, active dans ses biens, aime mieux s’exercer sur les chimères qui sont à sa portée que de rester oisive et sans mouvement. Ne nous étonnons donc pas de voir la philosophie orgueilleuse et vaine se perdre dans ses rêveries, et les plus beaux génies s’épuiser sur des puérilités. Avec quelle défiance devons-nous nous livrer à nos faibles lumières, quand nous voyons le plus méthodique des philosophes, celui qui a le mieux établi ses principes et le plus conséquemment raisonné, s’égarer dès les premiers pas, et s’enfoncer d’erreurs en erreurs dans des systèmes absurdes. Descartes, voulant couper tout d’un coup la racine de tous les préjugés, commença par tout révoquer en doute, tout soumettre à l’examen de la raison ; partant de ce principe unique et incontestable : Je pense, donc j’existe, et marchant avec la plus grande précaution, il crut aller à la vérité et ne trouva que des mensonges.
Rousseau, Lettres morales, III.
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