J'avoue que je ne puis me faire à cette façon de parler d’hommes sans doute avisés : tel peuple (qui travaille à se donner une liberté politique) n'est pas mûr pour la liberté ; les serfs d’un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté, et de même aussi les hommes en général ne sont pas encore mûrs pour la liberté de croyance. Mais, dans cette hypothèse, la liberté n'arrivera jamais, car on ne peut mûrir pour la liberté si l’on n’a pas d’abord été mis en liberté (il faut être libre pour pouvoir faire un bon usage de ses facultés dans la liberté). Les premiers essais seront certes grossiers et même ordinairement liés à un état de choses plus pénible et plus dangereux que celui où l'on vit sous les ordres mais aussi sous la prévoyance d'autrui ; seulement, on ne peut mûrir pour la raison autrement que par des essais personnels (qu'il faut être libre pour pouvoir accomplir). Que ceux qui détiennent le pouvoir, contraints par les circonstances, renvoient encore loin, très loin, le moment de briser ces trois chaînes qui tiennent les hommes, je n'ai rien à dire là-contre. Mais poser en principe que la liberté ne convient pas à tous ceux qui ont été soumis à leur pouvoir et qu'on a le droit de les en priver pour toujours, c'est porter atteinte aux droits régaliens de la divinité elle-même, qui a créé l’homme pour la liberté. Certes, il est plus commode de régner dans l'État, dans la famille et dans l'Eglise, quand on a pu faire admettre un pareil principe. Mais est-ce aussi plus juste ?
Kant, La Religion dans les limites de la simple raison, IV, II, 4.
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