Celui qui refuse de faire de la philosophie mène sa vie prisonnier de préjugés qui dérivent du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays, et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de sa raison, sans délibération. Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions, et les possibilités qui ne sont pas familières sont rejetées avec mépris. Au contraire, dès que nous commençons à faire de la philosophie, nous voyons que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes et que les réponses que nous sommes capables de donner sont très incomplètes. La philosophie, bien qu’elle ne soit pas capable de nous donner la réponse aux doutes qu’elle suscite, est capable de suggérer plusieurs possibilités, qui élargissent le champ de notre pensée et la libère de la tyrannie de l’habitude. Ainsi, pendant qu’elle diminue le sentiment de certitude vis-à-vis de ce que sont les choses, elle augmente de manière importante notre connaissance de ce qu’elles peuvent être. Elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui ne se sont jamais aventurés dans la région du doute libérateur et préserve la vivacité de notre sentiment d’émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect qui n’est pas familier.
Bertrand Russell (1872-1970), Problème de philosophie, chap. 15
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