Nous avons tant de fois éprouvé dès notre enfance, qu’en pleurant, ou commandant, etc., nous nous sommes fait obéir par nos nourrices, et avons obtenu les choses que nous désirions, que nous nous sommes insensiblement persuadés que le monde n’était fait que pour nous, et que toutes choses nous étaient dues.
[…]
Il est certain que la ressemblance qui est entre la plupart des actions des bêtes et les nôtres, nous a donné, dès le commencement de notre vie, tant d’occasions de juger qu’elles agissent par un principe intérieur semblable à celui qui est en nous, c’est-à-dire par le moyen d’une âme qui a des sentiments et des passions comme les nôtres, que nous sommes tous naturellement préoccupés de cette opinion. Et, quelques raisons qu’on puisse avoir pour la nier, on ne saurait quasi dire ouvertement ce qui en est, qu’on ne s’exposât à la risée des enfants et des esprits faibles. Mais pour ceux qui veulent connaître la vérité, ils doivent surtout se défier des opinions dont ils ont été ainsi prévenus dès leur enfance. Et pour savoir ce que l’on doit croire de celle-ci, on doit, ce me semble, considérer quel jugement en ferait un homme, qui aurait été nourri toute sa vie en quelque lieu où il aurait jamais vu aucun autres animaux que des hommes, et où, s’étant fort adonné à l’étude mécanique, il aurait fabriqué ou aider à fabriquer plusieurs automates, dont les uns avaient la figure d’un homme, les autres d’un cheval, les autres d’un chien, les autres d’un oiseau, etc., et qui marchaient, qui mangeaient et qui respiraient, bref qui imitaient, autant qu’il était possible, toutes les autres actions des animaux dont ils avaient la ressemblance, sans omettre même les signes dont nous usons pour témoigner nos passions, comme de crier lorsqu’on les frappait, de fuir lorsqu’on faisait quelques grand bruit autour d’eux, etc. […] Il faut, dis-je, considérer quel jugement cet homme ferait des animaux qui sont parmi nous, lorsqu’il les verrait. […] Or il n’y a point de doute que cet homme, voyant les animaux qui sont parmi nous […] jugerait […] que ce seraient des automates, qui, étant composés par la nature, seraient incomparablement plus accomplis qu’aucun de ceux qu’il aurait faits lui-même auparavant.
Descartes, Lettre à Reneri pour Pollot, Avril ou mai 1638
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